Normal People (Hulu / BBC, 2020)

Normal People c’est d’abord un best-seller en librairie datant de 2018 et offert par Sally Rooney qui signe là son deuxième roman en deux ans après Conversations with Friends en 2017. Il y a quelques mois, j’avais téléchargé les deux romans sur mon Kindle mais je n’ai jamais terminé Conversations with Friends, je ne me souvient plus très bien pourquoi, j’avais du mal à apprécier les héroïnes il me semble et j’ai oublié Normal People.

En ce qui concerne la série, je n’ai fait le rapprochement avec le livre qu’après le début de mon visionnage. J’ai commencé à regarder après avoir lu plusieurs tweets élogieux mais sans connaître vraiment l’histoire. C’est après le 1er épisode que j’ai fait des recherches, vu que la série était une adaptation et que l’histoire et le nom de l’auteur me rappelait vaguement quelque chose. Autant vous dire que je vais rapidement débuter la lecture du bouquin maintenant.

Je ne sais pas si je suis déçue de n’avoir pas lu le livre avant de regarder la série, habituellement je fais toujours l’inverse mais c’est peut-être pour le mieux. Pendant 5 heures (12x25min), je me suis laissée emporter en Irlande, de Sligo à Dublin, grâce à ces deux personnages.

La description (sur Allociné) de la série ne lui rend pas grand mérite :

“La relation compliquée entre Marianne et Connell depuis leurs années d’école dans une petite ville de l’ouest de l’Irlande jusqu’à leurs études universitaires au Trinity College.”

Celle de Wikipédia (basée sur le livre), un peu plus :

“Le roman traite de l’amitié et de la relation complexes entre deux adolescents, Connell et Marianne, qui fréquentent tous deux le même lycée dans le comté de Sligo et, plus tard, le Trinity College de Dublin (TCD). L’action se déroule pendant le ralentissement économique irlandais après 2008. Connell est un lycéen populaire, beau et très intelligent qui commence une relation avec Marianne, une jeune fille impopulaire, intimidante, mais tout aussi intelligente, dont la mère emploie sa mère comme femme de ménage. Par honte, Connell cache cette liaison à ses camarades de classe, mais, il finit par aller à Trinity avec elle après l’été et se réconcilier. Marianne s’épanouit à l’université, devient jolie et populaire, tandis que Connell lutte pour la première fois de sa vie pour s’intégrer correctement. Le couple se côtoient tout au long de leurs années universitaires, développant un lien intense qui met en lumière les traumatismes et les insécurités qui font d’eux ce qu’ils sont.”

Sur le papier, une histoire d’amour et de rupture entre deux jeunes de milieu social différent, dans une petite ville d’Irlande. Une histoire entre deux personnes très intelligentes, très différentes et surtout très abîmées.

Avant de donner plus en détail mon avis, sans dévoiler ce qu’il se passe, j’ai adoré la série, dévorée les épisodes en une journée, je suis ridiculeusement attachée à Marianne et à Connell qui m’ont fait rire, pleurer, espérer pour eux mais aussi réfléchir avec leur fragilité, leurs émotions, leurs choix (bons et mauvais) et leur amour. La mise en scène est délicate et poétique. La musique est parfaite. Et les deux acteurs principaux…

C’est le premier rôle à la télévision pour Paul Mescal (Connell) qui est bouleversant. Daisy Edgar-Jones (Marianne) joue toutes les nuances d’un personnage d’une complexité incroyable avec une justesse absolue. Ils crèvent l’écran individuellement et ensemble ils sont irresistibles.

SPOILER ALERT !

(Je ne vous conseille pas spécialement de regarder le trailer qui dévoile beaucoup beaucoup beaucoup beaucoup trop de choses à mon goût)

Lorsque l’on découvre Marianne et Connell, ils se connaissent depuis des années sans jamais s’être vraiment parlés. Marianne vit avec sa mère et son frère, on apprend rapidement que son père est mort et qu’il frappait sa mère. La famille est riche, vit dans un manoir, loin de la ville et les rapports entre les membres de la famille sont compliqués. Connell vit avec sa mère, qui est employée par la mère de Marianne pour faire le ménage et leurs seules interactions arrivent lorsque Connell vient chez Marianne récupérer sa mère après son travail. Au lycée, Marianne n’a aucun ami, ne respecte pas les professeurs, à une réputation de “cinglée”, prend de haut la majorité de ses camarades tandis que Connell est populaire, très bon joueur de rugby et désiré par la majeure partie des filles de l’école. Ce sont les meilleurs élèves de l’école, ce qui semble être leur seul point commun. S’il ne fait pas partie des personnes qui se moquent ouvertement d’elle, Connell ne dit jamais rien, et se rend coupable par sa passivité. On découvre peu à peu son anxiété, son désir d’être populaire, d’appartenir à un groupe même si cela ne colle pas à ses valeurs et qu’il doit jouer un rôle.

Ils débutent rapidement une relation, principalement sexuelle, mais Connell a honte et demande à Marianne de n’en parler à personne. On voit tout de suite deux facettes de lui : celui de l’homme attentif, qui lui demande toujours son consentement, qui la respecte (dans la chambre) et qui s’ouvre à elle sur ses peurs concernant l’université et son futur et celui de l’adolescent qui ne veut pas perdre son statut à l’école en rendant public leur relation, pire, il n’agit pas lorsque les remarques contre Marianne deviennent de plus en plus virulentes au lycée. Le comportement de Marianne n’est pas exempt d’incompréhension, elle avouera plus tard avoir été autant embarrassée par le fait d’avoir accepté cette situation que par le comportement de Connell.

On sent que Marianne recherche une figure paternelle et Connell, grand et fort mais qui rougit lorsque les filles lui parle l’attire tandis que Connell a du mal à se construire, à savoir quel genre de personne il est. Le premier moment très fort arrive grâce à Lorraine, la mère de Connell. Après une énième confrontation au lycée, Marianne décide de ne plus y retourner et de terminer son année en étudiant à domicile. Si on voit que Connell se sent mal (il a décidé d’inviter une autre fille au bal de fin d’année et il n’a pas réagi aux insultes de ses amis), il est loin de faire des efforts pour réparer ses erreurs. Lors d’une conversation en voiture, sa mère le met en face de ses responsabilités dans l’état de Marianne. Elle a honte de son fils et veut qu’il prenne conscience de son comportement. Sous ses airs de maman poule et cool au tout début de la série, on sent qu’elle souhaite élever son fils pour qu’il devienne un adulte décent. Mise en comparaison avec Denise, la mère de Marianne distante, froide et qui va se révéler une mère indigne, cet accès de colère de Lorraine est beau.

Je ne vais pas décrire chaque minute de la série mais après leur “rupture” au lycée, Marianne et Connell se retrouvent à Dublin, au Trinity College. Alors que Marianne s’épanouit, Connell lui se sent extrêmement seul. S’il commence rapidement à briller en cours, il n’a aucun ami et aucune vie amoureuse. Alors qu’elle sort avec un autre, Marianne se sent tout de suite attirée par Connell dès leurs retrouvailles

Ils ne vont plus se quitter, sans être forcément ensemble, pendant leurs années à Trinity. Connell sortira pendant un long moment avec une de ses amies, Helen tandis que Marianne sortira avec Jamie, un de ses amis de longue date et Lukas, lors de son Erasmus en Suède. Alors qu’on ne voit pas grand chose de la relation Connell / Helen, même si on sent que c’est voué à l’échec, on voit beaucoup plus Marianne avec ses copains. On découvre Jamie dès leur première année, un petit blond riche, arrogant, dominateur et sadiste qui va amener le côté BDSM dans la vie de Marianne après les mois de relation avec Connell. Leur relation explose après l’invitation de Connell et Niall (son meilleur ami) à faire un arrêt dans la maison de vacances italienne de Marianne. Toute l’insécurité de Jamie, sa volonté de contrôler Marianne, bien au-delà de leurs relations sexuelles, et sa jalousie envers Connell qui a gardé un lien très fort avec Marianne éclate au grand jour. Sa relation avec Lukas semble encore plus malsaine, lui faisant perdre toute joie de vivre, de nouveau dominée par un partenaire et sans ami. Il y a beaucoup de scènes de sexe dans la série mais c’est aussi par là qu’on se rend compte de la personnalité des personnages, elles ne sont pas gratuites. Marianne a toujours eu un côté soumis, dès le lycée elle dit à Connell qu’il peut faire ce qu’il veut d’elle mais il refusera toujours de prendre le contrôle et d’être violent. C’est aussi un bel aspect de la série, Connell ne comprend pas son attirance pour le BDSM, craignant que ce soit trop lié au traumatisme avec son père, il est mal à l’aise, s’exprime mal, ses connaissances dans le domaine étant nulles et si Marianne dit qu’il n’y a qu’avec Connell qu’elle peut être elle-même et ne pas jouer un rôle, elle lui demande tout de même de la frapper.

Au delà de l’histoire en elle-même, la réalisation est fantastique, d’une grande delicatesse. Tout est parfait : le tempo de l’histoire et des dialogues, l’alchimie entre les deux acteurs, la photographie,…

Chaque mot, regard, hésitation dans la voix nous entraine au plus profond d’eux. Deux êtres sur le fil, qui peuvent basculer à chaque instant, deux êtres frustrants mais si humains, si honnêtes avec eux mêmes et ensemble qu’ont ne peut que les aimer. Regarder la série est épuisant, émotionnellement ce sont des montagnes russes, j’ai souvent été énervée par leur manque de communication, qui est tout de même expliquée, surtout pour Marianne, par leur passé. Je comprends les critiques concernant le manque de communication (surtout à la fin de leur première année d’université, lorsque Connell est incapable de dire à Marianne qu’il n’a pas assez d’argent pour rester à Dublin durant l’été, n’ose pas lui demander d’emménager avec elle et rompt) mais pour moi, leur brillance académique ne préjuge en rien de leur intelligence émotionnelle. Ils ont tous les deux de gros problèmes de communication avec les autres, du mal à s’intégrer et leur attachement l’un à l’autre n’en est que plus fort, une bouée, un lieu sur pour eux. Séparés, on les voit toujours dans une isolation douloureuse.

Le suicide d’un de leurs anciens camarades de classe au lycée, harceleur de Marianne, ami de Connell va exacerber cette douleur interne. Alors que Marianne est en Suède, Connell sombre dans la dépression. L’épisode 10 est un bijou. Sous les conseils de Niall (et c’est déjà important de mentionner que c’est un homme qui le conseille), il va demander de l’aide et aller voir une psychologue. La séquence est d’une puissance incroyable. Voir un homme demander de l’aide, se montrer vulnérable et parler de ses insécurités, de ses échecs, de son sentiment de culpabilité face à la mort de son ami, c’est encore un événement à la télévision. La scène est à la fois tout à fait normale, un homme au bout du rouleau face à une thérapeute (compétente) mais elle est aussi tellement inédite qu’elle gagne forcément en intensité. L’autre scène marquante de cet épisode c’est cet échange entre Marianne et Connell par vidéo qui finit par Marianne lui proposant de garder la vidéo ouverte toute la nuit pour veiller sur lui pendant son sommeil.

Une autre scène particulièrement frappante c’est le climax de la situation entre Marianne et son frère ainé, Alan. On est témoins depuis le début de son harcèlement, de ses remarques, de sa violence et on voit le crescendo. Il reproduit le comportement de son père, violent avec sa mère, avec sa soeur. Alan n’a pas l’intelligence de Marianne et jalouse sa vie à Dublin. Lors d’un retour au domicile familial il lui hurle dessus une nouvelle fois et apeurée, Marianne s’enfuit dans sa chambre sans avoir le temps de fermer la porte qui, sous la violence d’Alan lui brise le nez. Elle appellera Connell de suite. Au delà de la peur et de la violence de la scène, il y a les plans sur la mère, dans une pièce à côté, consciente de toute la scène et qui n’agit pas. Elle n’arrête pas son fils et ne protège pas sa fille. Connell, lui, intimide Alan par sa force et sa rage et on voit Alan plier devant cet homme, redevenir l’enfant face à son père, impuissant. Après ça, il n’y aura plus de discussion BDSM entre Marianne et Connell, sans que l’on sache si Marianne accepte de ne plus aborder le sujet pour lui faire plaisir ou si elle tire un trait sur cette partie de sa vie. Ce sera aussi la fin de la maigre relation avec sa mère qui l’ignorera à son retour en ville.

La fin fait évidemment beaucoup parler. Je suppose que c’est la même que dans le livre. Evidemment, une partie de moi est triste qu’ils se séparent, après avoir été autant investie dans leur relation mais c’est surement la meilleure décision qu’ils pouvaient prendre. Après ces 12 épisodes, je ne pense pas qu’ils soient faits l’un pour l’autre, je dirais qu’au final, en pesant le pour et le contre, ils se sont finalement fait plus de bien que de mal mais ils sont encore en train de se construire, de découvrir qui ils sont et c’est surement plus sage de continuer séparément. J’ai dans le coin de la tête une possible rencontre quelques années plus tard, mais moins dans un contexte amoureux que dans une relation d’amitié profonde.

(C’était vraiment très long et fouilli, les prochains articles seront surement plus courts et mieux organisés, cela fait longtemps que je n’ai rien écrit).

Regardez Normal People.